mercredi 3 novembre 2010

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Au bord du chemin poussaient quelques colchiques. Mais cela n'avait pas de sens, puisque ici les saisons n'étaient plus que de vagues idées, des concepts que l'on s'efforçait de colmater à force d'images, faute de mieux. Autrefois le petit groupe s'efforçait de s'extasier, ou du moins de marquer l'existence concrète de ces signes apparents et saisonniers, qu'étaient fleurs, tempêtes et fruits nouveaux. Mais ce jour, les colchiques passèrent inaperçues, malgré leur volonté évidente de s'extraire du bas-côté, d'empiéter sur les cailloux afin que l'on pût au moins leur jeter un regard, leur signaler ainsi leur raison d'être.
Le décompte des jours passait par le cycle des femmes, décalées l'une de l'autre d'à peine un quart lunaire. Quand Pasiphae finissait de saigner, Jun ressentait les premières brûlures, discrets éclairs de son bas-ventre. Mais qu'un mois eût passé, suivi d'un autre et du troisième, que déjà l'on se perdait dans le temps. L'enfant né, on pût plus aisément le voir filer. Cela commença par la conscience commune qu'ils eurent, telle un petit trait de culpabilité, que ce dernier n'était point encore nommé, malgré sa peau qui tendait à se défriper, ses joues à se gonfler, nourries de bouts de canne à sucre et de rosée. Il était évident qu'il leur fallait faire un choix, et ce rapidement. Mais un nom, c'est tout de même quelque chose d'important, qui plus qu'on ne peut le croire fait de vous ce que vous êtes et deviendrez. Ils avaient peur de se tromper, d'être plus tard sujets aux remords qu'un regard lourd de reproches leur infligerait. On décida donc d'un juge, ce fût l'homme.
-Elle est née au coucher du soleil, cela impose son nom.
Les femmes le regardaient, sa déclaration ne les avançaient qu'à plus de suppositions encore. Mais lui se souvenait de ce dialecte de l'est, qu'un jour des inconnus parlaient dans son village. Ce n'étaient que des saltimbanques, des gens du voyage, mais l'un avait dans sa façon de raconter le monde et ses histoires vieilles plus encore que l'humanité, une petite flamme qui attirait d'abord les enfants, puis les adultes un peu gênés et même quelques vieillards curieux des bribes de vie qu'ils étaient encore en mesure de saisir.
Cet homme donc, avait enchaîné au cours de la soirée plusieurs contes et quelques mythes, avant d'en arriver à l'histoire de la petite fille qui portait dans son coeur les rêves des enfants, et toutes les nuits en choisissaient quelques-uns qu'elle confiait à son frère le vent, afin qu'il aille de par le monde les confier aux petits endormis, et puisse observer les expressions de leurs visages. Cette petite fille ne vivait qu'à partir du coucher du soleil, elle s'appelait Yuuhi.
Ce fût le nom qu'ils attribuèrent au bébé, une ronde de voyelles qui s'aspiraient, chantantes et peut-être porteuses d'une interrogation, mais c'était pour plus tard.

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